Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 15:46

S'il est un domaine où j'aime retrouver Philippe Bouin, c'est dans cette peinture sans concession des notables de province où il excelle, à mon avis. Nous voici donc dans les environs de Montpellier, au sein d'une famille de médecins où fourmillent, comme de bien entendu, secrets, non-dits et compromissions en tous genres. Au delà de la résolution d'un crime impuni depuis 7 ans, ce roman policier, classique et pourtant ancré dans son époque, parcourt d'autres horizons : la situation humanitaire dans la Corne de l'Afrique, un retour vers feu l'Indochine, etc.

 

Le style est, comme toujours, impeccable. Un récit vivant à base de dialogues avec, toutefois, le sens du détail dans les descriptions, notamment dans la faune et la flore de la région. L'écriture est rendue plus alerte par cet humour parfois grinçant mais si personnel. Très drôle, cette manière de revisiter Confucius ! Philippe Bouin garde aussi son côté un peu chicaneur et bien percutant. On le voit à l'oeuvre, par exemple, quand il décrit les pratiques douteuses du monde de la télévision et ces journalistes qui maltraitent le français sans remords.

 

En fait, je n'ai trouvé qu'un seul défaut à ce roman, un frustrant goût de trop peu. Certes, il compte plus de 300 pages mais d'assez gros caractères et des chapitres très courts font que le blanc s'y étale à l'aise. Je pense que la psychologie de certains personnages aurait gagné à être plus fouillée, certains évènements du passé plus approfondis. Question de prolonger le plaisir...

 

Site : Cuisine des mots

Partager cet article
Repost0
22 octobre 2012 1 22 /10 /octobre /2012 13:55

Jeux de correspondance

 

Caton l'Ancien, sénateur romain, rappelait chaque jour à ses concitoyens qu'il fallait détruire Carthage, cette ville qui menaçait l'expansion de l'empire romain naissant. Aujourd'hui, Carthage n'est plus une splendide cité, où séjourna aussi quelques années les pensées de Gustave Flaubert alors qu'il écrivaitSalambo, mais une banlieue pavillonnaire chic de l'Angleterre contemporaine. Une banlieue qui ne semble pas concernée par le monde du travail, mais où les propriétaires s'inquiètent de la qualité des sculptures animales réalisées dans les buis des bosquets, où l'on attend la médaille que va donner la Reine pour services rendus à l'Empire et où les maîtresses de maison sont bien obligées de nettoyer les moquettes tachées par les vestiges des partouzes.

 

C'est ce monde de faux semblants que décrit avec un soin attentif Bill James. Pour en cerner la bizarrerie, avec une ironie mordante, il écrit un roman épistolaire. Là où justement le roman par lettres jouait avec la connivence des lecteurs - la lettre racontait des événements ou des sentiments que l'auteur de la lettre ressentait ou vivait -, Bill James fait un pas de côté. Les lettres sonnent juste, mais des fêlures apparaissent régulièrement et décrivent une situation tordue : pourquoi Jill écrit-elle sans arrêt à sa mère pour évoquer les dangers de sa situation conjugale tout en restant avec son mari ? Pourquoi le dit mari manifeste-t-il autant de gentillesse et en même temps passe-t-il autant de temps à espionner sa femme ? Quel rôle joue la voisine, membre des services administratifs de la police ?

Par petites touches, chaque lettre dresse un portrait plausible mais où l'on sent les failles, comme ces cauchemars éprouvants où nous savons qu'il y a une menace diffuse, dans l'atmosphère, invisible mais pesante. Plus les lettres se succèdent, plus le sentiment de réalité se disloque et perturbe le lecteur tout en restant éminemment logique et crédible. Les "chutes" finales, révélations étranges, expliquent la situation mais en même temps, Bill James a si bien réussi son coup que nous ne savons pas quelles fins sont réelles et lesquelles sont le fruit de l'imagination des protagonistes.

 

Comme dans les derniers romans de James Graham Ballard, qui exploraient aussi les banlieues modernes des classes aisées ou les films de David Lynch, Lettres de Carthage explore ce moment où la normalité va basculer dans l'horreur, comme cette horreur est déjà contenue dans l'atmosphère de normalité, comme l'attente longue et pénible d'un orage qui doit éclater mais se fait attendre. Derrière l'orgueilleuse beauté de Carthage, il y a toujours un Caton qui appelle à la détruire et la destruction arrivera.

 

Site : K-Libre

Partager cet article
Repost0
3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 17:17

Il y a bien longtemps que l’histoire du conflit en Irlande du Nord alimente le roman noir. En France, par contre les mouvements nationalistes ou indépendantistes, que l’on pourrait penser être une mine pour le genre, ont assez peu inspiré les auteurs à quelques exceptions près, comme Hervé Le Corre dans Du sable dans la bouche, cavale aux côtés de la rescapée d’un commando basque poursuivie par un tueur. C’est donc avec curiosité que l’on a abordé ce I Cursini écrit par ailleurs par un auteur connaisseur du dossier corse pour y avoir travaillé en tant qu’agent des Renseignements Généraux.

 

 I Cursini, c’est donc les histoires croisées d’un commando de têtes brûlées (et vides) engagées par des indépendantistes à bout de souffle mais qui auraient tout aussi bien pu basculer du côté du banditisme, ainsi que des agents qui les suivent et essaient de déterminer leur rôle et leur action avant de pouvoir leur tomber dessus. Une trame a priori simple pour une histoire – et une réalité – bien plus complexe où les politiques, du côté de l’État ou des nationalistes, ont leur mot à dire et tiennent ou essaient de tenir la bride aux hommes de terrain, où les frontières entre lutte de libération nationale et banditisme sont poreuses, et où tous ceux qui veulent obtenir ou ne pas concéder une once de pouvoir jouent des parties de billard à trois, quatre ou cinq bandes dans l’espoir d’emporter le morceau.

 

 Et l’on est finalement pas déçu par le roman d’Alix Deniger. Certes, l’auteur se laisse parfois prendre aux pièges de l’exercice : un vocabulaire un brin abscons du côté flic pour faire vrai de vrai et un autre plus pauvre et parfois caricatural, notamment dans l’emploi – trop peu ou pas assez – de la langue corse par les clandestins, une histoire d’amour entre flics qui n’apporte pas grand-chose… Mais il parvient toutefois à bâtir une histoire à la fois cohérente et que le commun des mortels peut arriver à suivre malgré la complexité des jeux de pouvoirs et des alliances qui se nouent.

 

Par ailleurs, I Cursini offre un regard différent sur la situation du mouvement indépendantiste corse, loin de l’image bâtie à coup de conférences de presse spectaculaires par ledit mouvement pour apparaître comme plus puissant qu’il n’est et par les services français qui se plaisent aussi à jouer ce jeu afin d’apparaître eux-mêmes comme particulièrement redoutables.

 

Et ce que l’on voit, en fin de compte, c’est un mouvement exsangue, prêt de se faire dévorer par des bandits qui ne le craignent plus et obligé de recruter dans une jeunesse dépolitisée mais avide d’enrichissement rapide et de pouvoir. Un mouvement qui ne survit qu’à grands coups de bluffs et parce que, en face, les services de renseignements sont tout aussi faibles, manquant d’effectifs, de matériel et d’une réelle volonté politique d’éliminer un adversaire qui, à l’occasion, peut servir d’épouvantail ou de trophée à exhiber.

 

Roman désabusé, I Cursini est une vérité. Celle d’Alix Deniger. Ce n’est sans doute pas LA vérité – et l’on attend qu’un auteur nous donne celle d’un clandestin, pourquoi pas, pour pouvoir la croiser avec celle-ci. Mais c’est un angle de vue qui mérite que l’on s’y intéresse, d’autant plus qu’il s’accompagne d’une intrigue plaisante et sans temps morts portée par des personnages qui, bien que certains, trop monolithiques ou flirtant avec la caricature, auraient sans doute mérité d’être un peu plus fouillés, se trouvent être plutôt attachants, y compris lorsqu’ils révèlent leur bêtise crasse et leurs ambitions bas de gamme.

 

Site : Encore et toujours du noir

 

 

Partager cet article
Repost0
3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 16:48

Chez Actes Noirs, “404 not found” d’Hervé Decca nous ramène en 2005. Stephan Arénas est alors policier à Villeneuve-Saint-Maur. Pour résoudre son problème de couple, il cherche à devenir commissaire, mais ce n’est pas gagné. Bien qu’en proche banlieue parisienne, les habitants d’ici se sentent loin de Paris. DECCA-2012En particulier ceux de la cité Presov, grand ensemble de tours et d’immeubles, qui périclite au fil des ans, surtout depuis que la Cimenterie a fermé. Ne restent que le Maximarket et le Lycée Ravel, école où quelques profs motivés côtoient ceux qui ne le sont plus du tout. La scolarité d’élèves comme Lila Mezouani, qui admire sa prof de français en 1ère, Mme Castelli, c’est encourageant. D’autres, telle Hélène Glauce, s’enfoncent dans un refus agressif de tout enseignement.

 

Et puis, il arrive qu’une élève disparaisse, sans qu’on puisse réellement savoir s’il s’agit d’une simple fugue ou d’une affaire criminelle. C’est le cas de Déborah Brahmi, âgée de quinze ans. Arénas enquête sur cette disparition avec sa collègue Dorothée. Ayant eu une jeunesse agitée, la jeune policière pratique la boxe. Pas inutile dans ces quartiers. Le flic Bonnal est également associé à ces investigations. Au nom de son expérience, il est nettement moins tolérant qu’Arénas et Dorothée. Il y a aussi Karim, policier s’occupant de l’informatique. C’est lui qui va fouiller l’ordi de la disparue, y trouver son blog où elle affiche des photos sensuelles. Entre les rapports scolaires négatifs sur Déborah et le témoignage d’Hélène, qui affirme ne pas être responsable de la disparition de son amie, les enquêteurs finissent par dénicher quelques pistes. Plusieurs jeunes hommes, peut-être suspects.

 

Des incidents se produisent autour du Lycée Ravel. Des jeunes de la cité de La Grange-aux-Loups affrontent ceux de Presov, sans véritable prétextes. Surveillée par son frère Hicham, mandaté par leur père inquisiteur, Lila aspire au goût de la liberté avec Mamadou. Pourtant, ils sont trop différents pour qu’un clash ne se produisent pas entre eux. Arénas et Dorothée interroge Christopher le Canadien, prof assistant, qui nie toute intimité avec la disparue Déborah. Il y aurait encore un beau gosse nommé Landry Guérin, pas facile à retrouver. Ainsi qu’Ahmed, un jeune aujourd’hui professionnellement inséré, qui donna des cours de maths à Déborah. Les incidents violents causent des victimes, la tension monte dans ces quartiers, risquant de toucher des innocents. Surtout si un flic nerveux tel que Bonnal s’en mêle. Arénas et Dorothée poursuivent l’enquête, vaille que vaille…

 

 

 

Voilà un roman noir sociétal, sur un sujet perpétuellement sensible, les quartiers des banlieues et leur univers compliqué. L’année n’est pas choisie au hasard. On se souvient des émeutes de l’automne 2005. Comme le suggèrent dans l’histoire certains pessimistes, la situation n’est pas prête d’évoluer. Malgré ceux qui, sans naïveté ni complaisance, cherchent sur place des solutions concrètes, les bonnes volontés s’essoufflent parfois. Terreau idéal pour toutes sortes de délinquances, l’auteur ne le nie pas. Il nuance avec justesse le propos. On le voit avec la notion de “protection”, dans un cas précis. Il insiste aussi sur ce “décor” qui encourage si peu le moral de ses habitants, à de rares exceptions près.

 

L’ambiance réaliste crée ici une part de trouble ou de malaise, nécessaire pour imaginer le quotidien en question. Très léger reproche, il n’était pas indispensable d’en rajouter avec les soucis familiaux du policier Arénas, le contexte étant déjà chargé. Noir polar qui témoigne sans prétendre donner des réponses, qui constate un fait de société. Un roman actuel, de belle qualité.

 

Site : actions suspens

Partager cet article
Repost0
3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 16:42

Fortement inspirée par une actualité récente (la séquestration durant des années, dans la cave de la maison familiale, d'une adolescente devenue femme et mère) et par une thématique terriblement en vogue dans le thriller (la pédophilie meurtrière), à laquelle il faut ajouter la rédemption d'un ancien flic alcoolique viré du NYPD pour avoir abattu une innocente, La ville des serpents d'eau ne se présentait pas, à mes yeux, sous un jour très attrayant.

 

Brigitte Aubert réussit à construire un bon suspense autour de l'évasion de la fillette, d'abord grâce au handicap dont elle l'a dotée et qui, conjugué à cette vision du monde tronquée qui est la sienne (d'un côté la violence, l'humiliation, la soumission que Daddy exige d'elles, de l'autre ce qu'elle a appris de l'extérieur dans les livres) rend très délicat le succès de sa mission : porter le message rédigé par sa mère à quelqu'un qui pourra les aider.

 

Inspiré du Lennie de Des souris et des hommes, Black Dog est la première personne qu'elle rencontre, dans cette nuit froide juste avant Noël. Elle va immédiatement et naïvement lui faire une entière confiance. Géant noir légèrement débile et clodo totalement en marge, le vieil homme est illettré et ne peut échanger avec elle. Mais il comprend instinctivement qu'il lui faut la protéger, même en tuant. Du coup, les voilà pourchassés par une meute de bons citoyens, parmi lesquels se cache évidemment Daddy, décidé à éliminer sa progéniture afin de préserver son secret. L'errance du duo est excellente, l'incertitude sur l'identité de Daddy parfaitement tenue jusqu'à la fin.

 

Malheureusement, pour faire durer le suspense sur 250 pages, La ville des serpents d'eau s'encombre de personnages et de situations parfaitement inutiles. Je comprends bien que pour permettre au lecteur de soupçonner successivement tous les protagonistes, il soit nécessaire de développer un tant soit peu ce qu'ils sont. Ou plutôt qui sont leurs femmes, puisque c'est par ce biais que Brigitte Aubert aborde le sujet. Mais ses considérations sur la classe moyenne américaine (alcoolisme, nymphomanie, dépendance à l'argent du mari, etc.) sont paresseuses et stéréotypées, comme un épisode de Desperate Housewives (cité à plusieurs reprises). Le personnage de l'ancien rappeur Snake T. est ridicule et sa présence ne se justifie éventuellement que pour le final, mélo à souhait. L'histoire de Vince ou celle de Laura, abondamment développées tout en ne disant des caractères que des choses tout à fait insignifiantes au regard de l'histoire, apparaissent comme du remplissage.

 

La ville des serpents d'eau dispose d'une belle ossature, mais de pas mal de mauvaise graisse. Dommage.

 

Site : Vents sombres

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Voilà vingt ans que Brigitte Aubert a publié son premier roman, “Les quatre fils du Dr March”. C’est “La mort des bois” en 1996, Grand prix de Littérature policière, qui lui apporta une belle consécration. Depuis, elle a écrit bon nombre de noirs polars et de romans-jeunesse. Par ailleurs, elle est l’auteure (chez 10-18) d’une série de suspenses historiques ayant pour héros le reporter Louis Denfert, des romans dans l’esprit feuilletoniste de l’époque évoquée. Début 2012, elle a publié le jubilatoire “Freaky friday” dans la collection Vendredi 13, Éditions La Branche. Ce petit aperçu de son œuvre est destiné à souligner que c’est une romancière chevronnée, et même plutôt inspirée. Elle a concocté ici un conte de Noël d’une délicieuse tonalité caustique. Une brochette de personnage tous affligés de tares ou de défauts marqués, dont un criminel possédant une facette obscure et une autre moins antipathique. L’establishment local s’avère caricatural à souhaits, ce qui introduit une forme d’humour décalé. Les scènes avec Black Dog et la fragile Amy sont, naturellement, les plus savoureuses. Enquête et chasse à l’homme s’entremêlent habilement. Un récit qui respecte une certaine unité de temps, dans un décor neigeux où l’on ne distingue plus vraiment la nuit du jour. Péripéties à foison, pour un excitant suspense. Encore un roman très réussi de Brigitte Aubert.

 

Site : ABC polars

Partager cet article
Repost0
1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 17:59

n quelques lignes seulement, Shirley Jackson (1916-1965) impose l’atmosphère étrange qui guidera tout son roman. Immédiatement, avec cette liste bancale, elle insinue une pointe de bizarre, lorgne vers le fantastique et installe une ambiance macabre, tendue par le mystère de la mort de la famille de Mary Katherine. Rapidement, on comprend que tout le village déteste les Blackwood, qui vivent coupés du monde dans leur magnifique demeure : Mary Katherine est la seule qui descend au bourg pour faire les courses deux fois par semaine, tandis que sa grande sœur Constance se cloître dans la maison et que l’oncle Julian, vieux et handicapé, seul rescapé du dîner à l’arsenic qui emporta le reste de la famille il y a six ans de ça, semble avoir perdu la raison, et rejoue sans cesse le jour du drame.

 

Qui a tué les Blackwood ? Pourquoi tout le village hait-il viscéralement cette famille ravagée ? Quel secret lie si intimement les deux sœurs ? Avec un ton à la fois moderne, mais aussi fortement imprégné du charme gothique du Tour d’écrou d’Henry James par exemple, Nous avons toujours vécu au château (1962) navigue entre deux eaux. Le chat, la présence magnétique de la forêt ou la superstition de Mary Katherine donnent l’impression que l’intrigue pourrait perdre pied, chavirer dans le fantastique. A moins que ce ne soit les personnages, paranoïaques et empêtrés dans leur mal-être, qui chavirent dans la folie.

 

Avec un savoir-faire cruel, Shirley Jackson joue de ces menaces diffuses pour épaissir encore le silence qui entoure ce foyer maudit. Inquiétant lorsque l’auteur de La Maison hantée décortique les tensions, les non-dits et les haines qui rongent les Blackwood, le récit devient carrément anxiogène lorsqu’il les force à affronter le monde extérieur, et raconte, pour ainsi dire, une chasse aux sorcières dans les Etats-Unis des années 1960. Un chef-d’œuvre tourmenté, sur la folie et la méchanceté du genre humain, auquel la nouvelle traduction de Jean-Paul Gratias redonne toute son ambiguïté.

 

Site : L'accoudoir

Partager cet article
Repost0
1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 17:48

Dans La demeure éternelle, William Gay, comme beaucoup de romanciers du Sud, déploie avec une immense lenteur un sujet d'une apparente banalité.

 

Car la description de cette société rurale, soumise à des croyances populaires mêlant bêtise et superstition, où survivent comme ils le peuvent des personnages défaits, harassés par le fardeau qui est le leur, nous est désormais familière. Cette misère des pauvres blancs amerlocains traversée par des éclairs de violence, c'est celle de La foire aux serpents de Crews ou de Père et Fils de Brown et, dans une moindre mesure, celle de Thomas Cook ou de Ron Rash lus ici. D'autant qu'au cœur de La demeure éternelle, l'absence ou l'abstention des pères semble gouverner, génération après génération, les destins individuels et collectif de cette communauté.

 

C'est dans ce vide que s'est installé l'homme nommé Dallas Hardin, figure du Mal absolu. Profitant de la faiblesse de Thomas Hovington, il l'a vampirisé, s'appropriant sa maison, sa famille, son affaire d'alcool illégal, le reléguant pour une décennie dans une existence suspendue. Seul à s'être opposé à lui, Nathan Winer le Juste va y perdre rapidement la vie et être englouti dans le gouffre voisin. Hardin peut désormais imposer à tous une unique règle, celle de sa plus grande violence.

 

Après cette entrée en matière meurtrière, William Gay installe, dix années plus tard, La demeure éternelle comme une chronique de ce monde sans avenir, où une nouvelle génération pointe pourtant le nez afin d'y trouver place. Chaque fragment de vie qu'il saisit l'est dans toute sa banalité, mais avec un lyrisme, une richesse de langue qui en fait un objet soit fascinant, soit décourageant pour le lecteur.

 

Nathan Winer Junior, privé de repères paternels par la disparition inexpliquée de son géniteur et l'acrimonie conséquente de sa mère, est un homme jeune et prometteur, si cela veut dire quelque chose dans le trou du cul du Tennessee. William Tell Oliver, un vieux voisin bourrelé de remords qui voit en lui le fils qu'il a perdu trop tôt, accompagne ses premiers pas d'adulte, figure amicale et tutélaire dont Winer a parfois peine à accepter les conseils et la présence.

 

Car Nathan, Grande-Gueule Hodges ou Bille-de-pied Chessor ont tous poussé à la diable, pour le meilleur et pour le pire, comme avant eux leurs pères, et les pères de leurs pères. William Gay laisse entrevoir qu'il n'a pas fallu grand-chose pour faire basculer Hardin enfant du mauvais côté de l'existence. Le milieu semble d'ailleurs propice à créer des dégénérés, des violents et des alcooliques (le personnage extérieur de Weiss est un excellent point de repère) quand ils ne sont pas les trois à la fois et Hardin n'en est sans doute pas le premier corrupteur. Avant lui, les membres du Klan réglaient encagoulés et en toute impunité leurs problèmes, et pas forcément raciaux comme on le constate lors de l'expédition vengeresse désastreuse qu'ils mènent contre le bootlegger.

 

Quand au deux tiers de La demeure éternelle la mise en place est achevée, nous connaissons mieux la perversité et la brutalité d'Hardin, la candeur et l'innocence de Winer et il est temps de confronter les deux générations. C'est du Dieu mauvais que viendra l'initiative et de la Femme – nous sommes dans la Bible Belt [2] – la tentation. L'écriture de William Gay se fait dès lors plus directe, pour accompagner la passion amoureuse, et plus âpre, pour faire corps avec la montée de l'opposition et de la violence entre les deux hommes. Libre au lecteur de voir dans cet affrontement qui est, d'abord, le réordonnancement, la réinvention de ce monde, un arrière-plan religieux, avant et après la Chute.

 

Le gouffre qui traverse le lieu (et aussi, symboliquement, le roman) réunit à présent les deux facettes d'une même divinité, morte. Ce qui laisse à la surface de cette Terre des égaux dans le désordre de leur passion – or ou amour – ainsi qu'un vieil homme, pour toujours dans l'attente (en librairie le 20 septembre 2012).

 

Site : les vents sombres

Partager cet article
Repost0
27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 18:21

Gallmeister, en général, c’est la promesse des grands espaces, de l’air pur, quitte à se colleter avec une nature pas forcément clémente et accueillante. Oubliez tout ça. Pike de Benjamin Whitmer nous amène en ville. Nous attrape par la peau des fesses pour nous balancer le nez dans la neige fondue et dégueulasse …

 

Whitmer

 

Douglas Pike fut un truand craint dans toute sa région natale, proche de Cincinnatti. Il a disparu quelques années, et depuis son retour il s’est rangé et fait des rénovations d’appartements pour le compte d’un flic, avec l’aide d’un jeune boxeur qu’il a pris sous son aile. Ce semblant de quiétude vole en éclat quand une prostituée lui amène Wendy, douze ans. Wendy est sa petite-fille, Sarah la mère qu’il na pas vue depuis qu’elle a eu six ans vient de mourir d’une overdose et Wendy n’a pas d’autre famille. Quand Derrick Krieger, flic violent et pourri jusqu’à la moelle commence à tourner autour de Wendy, les vieux démons se réveillent.

 

 

Je ne sais qui a dit, à propos de Chandler ou Hammett (je fais appel à la culture de mes lecteurs), qu’ils avaient sorti le roman de déduction anglais des salons de thé pour le jeter dans la rue. Une formule qui s’applique, ô combien, à Pike.

 

Ecriture à la fois sèche et poétique, ambiance gelée et désolée, rues de neige salie, univers de junkies, de putes, de flics pourris et de rades infâmes … Autant Gallmeister nous avait habitué à l’air pur des grands espaces, autant ce roman est urbain, ou plutôt périurbain, et glauque.

 

Le texte est saisissant, la plongée en enfer suffocante. Pas de branche à laquelle se raccrocher, pas de bons sentiments, pas d’échappatoire. Pas de chevalier blanc, pas de justicier. Que la violence de rapports humains basés sur la force et le pouvoir.

 

Un roman en forme de baquet de neige glacée en pleine figure. Impressionnant.

 

Benjamin Whitmer / Pike (Pike, 2010), Gallmeister (2012), traduit de l’américain par Jacques Mailhos.

 

Site : actu du noir

Partager cet article
Repost0
27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 18:19

l semblerait que Serge Quadruppani soit tombé amoureux de la plantureuse Simona Tavianello et qu’il ne puisse plus s’en séparer. Après Saturne et La disparition soudaine des ouvrières la revoici dans Madame Courage.

 

QuadruppaniSimona donc, commissaire anti mafia, se retrouve malencontreusement prise dans une manif contre le TGV transalpin italien … Mais côté manifestants. Résultat elle se fait matraquer par ses collègues, et comme elle est connue des media, l’affaire de la grande gueule romaine qui manifeste avec les « gauchistes » passe mal auprès de sa hiérarchie. La voilà donc en vacances forcées à Paris avec son napolitain de mari. Cependant, on le sait maintenant, les vacances du couple sont souvent mouvementées. Et ils se retrouvent « par hasard » dans un restaurant où une main coupée est servie dans le tajine à côté d’eux. Quand vous saurez que différents services secrets, quelques mafieux, des hommes d’affaire à morale variable, et une pincée d’islamistes plus ou moins excités trainent dans les parages, vous comprendrez que les vacances sont finies.

 

Un vrai plaisir de retrouver Simona et Serge. Un vrai plaisir de découvrir de nouveaux personnages, Francesco Marrone le flic qui résout les affaires en dormant, Stéphanie Lagourme, alter ego parisienne de Simona, ou la superbe Maria et Gisela la toujours révoltée (beaucoup de très beaux portraits de femmes …). Un vrai plaisir de le voir mettre en scène de vrai pourris et de vrais affreux, magouilleurs sans scrupules des services secrets, commis lèche-cul du pouvoir ou manipulateurs tartuffes se cachant derrière une soi disant foi et sainteté. Un vrai plaisir (un peu masochiste) de voir sous sa plume comment tout ce beau monde censé se détester et se combattre sait bien s’entendre en douce sur le dos des naïfs que nous sommes.

 

Un vrai plaisir aussi de partager ses rages, ses colères et ses soutiens. Soutien, aux résistants No-TAV, à ceux qui ont protesté contre l’interdiction kafkaïenne de certains auteurs dans les écoles et bibliothèques du nord de l’Italie, colère contre les islamistes récupérateurs de révolution et alliés secrets des pires tyrans, colère contre les petites manipulations des différentes officines de flics et de services secrets, colère contre le pouvoir et l’arrogance du fric …

 

Tout ça pourrait être un catalogue ennuyeux. Il n’en est rien. Par la grâce d’une histoire bien menée, même si, comme il l’écrit lui-même « on n’était pas dans un de ces polars ou tout, jusqu’au moindre détail, était expliqué à la fin » de personnages incarnés et d’une écriture sensuelle qui sait faire sentir une pâtisserie orientale, déguster un Rivesaltes ou s’émouvoir de la beauté d’une femme.

 

En ces temps de connerie aggravée et d’arrogance des plus riches, rien de tel qu’une bouffée de parfum d’agrumes. Lisez Madame Courage et vous verrez.

 

Site : actu du noir

Partager cet article
Repost0
27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 18:16

a pas qu’un cheveu sur la tête à Mathieu, ya pas qu’un flic dans la police de Reykjavik … Erlendur (il est où d’ailleurs celui-là ?) est rejoint par l’équipe de flics de Stefán dans Anges noirs sous la plume de Ævar Örn Jósepsson.

 

josepssonVoici Stefán et son équipe. Ils ont été réquisitionnés pour enquêter sur la disparition de Brigitta informaticienne géniale. Ce qui est étrange c’est que quelqu’un très haut placé les a alerté avant même que sa disparition ne soit signalée par son ex mari auprès de qui elle devait récupérer ses enfants, et qu’on leur a fourni immédiatement un dossier très fournie sur la jeune femme. Encore plus étrange, impossible de savoir vraiment de qui émane la demande d’investigation. Malgré ces irrégularités, Stefán et son équipe entendent faire leur travail de mieux possible, quitte à déranger quelques personnages qui se croient intouchables.

 

Commençons par tordre le cou à deux modes qui m’agacent.

 

La première est celle qui consiste, pour tous les éditeurs de polars, à traduire à tour de bras le premier auteur scandinave venu dans l’espoir de rééditer le coup marketing de Millenium (parce qu’en plus, à mon humble avis, Millenium c’est pas bon, c’est même pas loin d’être catastrophique par moments). Et sa conséquence, la manie de certains libraires (qui ne méritent pas ce magnifique nom), mais également de certains lecteurs, de s’extasier devant tout ce qui vient du nord.

 

La deuxième est conséquence de la première … C’est l’attitude qui consiste à cracher sur tout ce qui vient des pays scandinaves, sous prétexte de la première mode.

 

Tout ça pour énoncer une lapalissade qui vaut son pesant de café du commerce : des auteurs scandinaves, comme des auteurs italiens, américains, latinos, anglais, irlandais … et même français, y en a des très bons, des très mauvais, et toutes les nuances entre les deux.

 

Voilà. Ævar Örn Jósepsson justement est, à mon avis, entre les deux, mais plutôt dans la catégorie recommandable. Pas génial, pas révolutionnaire, pas indigne non plus. Recommandable.

 

 C’est un roman dans la plus pure tradition du roman procédural. Comme ceux de la série Erlendur, Wallander, Beck ou même du 87° district pour remonter aux créateurs originaux.

 

On y retrouve une intrigue soignée centrée sur la description du travail de la police, une attention particulière portée à la vie personnelle de quelques flics, et la description d’une ville, d’une société, d’une époque. Ici l’Islande du boom (de la bulle ?) économique, quand les managers soit disant géniaux gagnaient des fortunes en brassant du vent, juste avant que tout ne s’effondre.

 

Un roman moins poignant et émouvant que ceux d’Indridason, mais qui apporte une touche d’humour souvent absente des procéduraux nordiques. La vie hors commissariat des flics est particulièrement soignée et les « mésaventures » du jeune Arni sont plutôt cocasses et bien racontées.

 

Bref, sans être génial ça se lit bien et j’attends de pied ferme la suite pour voir si l’auteur prend de l’ampleur ou si c’était un coup isolé.

 

Site : actu du noir

Partager cet article
Repost0