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9 septembre 2011 5 09 /09 /septembre /2011 16:34

Le roman, avec Jean-Claude Pirotte comme avec d'autres poètes, est un genre certes fréquentable (il l'a souvent prouvé) mais à condition de l'entreprendre par les marges. Quitte à constater qu'une véritable intrigue est en train de germer : « Moi qui avais décidé d'écrire en guise d'exercice quelques pages où je me serais épanché à l'abri des regards, d'écrire Place des Savanes en somme, je me suis trouvé sans préavis au cœur, voire à la périphérie, d'une intrigue policière qui tient du roman populaire à six sous. »

Les ingrédients du roman populaire sont en effet réunis. Le narrateur ne ment pas, au moins sur ce point. Dans une atmosphère à la Mac Orlan, un jeune lecteur cite Armen Lubin et un vieux flic se demande quel rapport il peut y avoir entre cet Armen Lubin et le meurtre qui s'est produit dans la taverne où les deux personnages se rencontrent. S'affrontent, presque. Sur des terrains si personnels qu'ils ne coïncident jamais tout à fait. Sinon dans les regards convergeant vers la serveuse. Toute une histoire aussi, cette serveuse…

Il y a bien une place des Savanes, le titre ne ment pas non plus. Un lieu où l'on se cache aisément et où vit le grand-père. Prêt à transmettre sa succession au jeune lecteur qui est aussi le narrateur. Dans l'héritage annoncé, la plus belle part peut-être est un couple de geishas, les sœurs Ma, dotées de jambes affolantes dans leurs jupes fendues, sensuelles et exotiques comme le voyage que l'on ne fera jamais. Sinon place des Savanes. Pas besoin d'aller plus loin, ni de transformer l'errance du roman en logique policière. Le flou convient à celui qui, repensons à la citation du début, se plaît autant en périphérie qu'au cœur du récit, et tant mieux si l'on s'y perd.

Les mots des poètes

On ne s'y perd d'ailleurs pas tellement, au fond, à condition de prêter l'oreille. Les mots des poètes s'accrochent à la mémoire, forment une traîne pareille à une étoile filante, et il suffit de suivre la trajectoire pour récolter une moisson digne d'un viatique. « Sois sage, ô ma douleur » pour Baudelaire ici, ou, là-bas, avec Odilon-Jean Périer : « Une forêt d'anges / Sonne et marche : c'est un orgue. » Et tant d'autres, dans une promenade où l'on rencontre Neuhuys, Gérard Prévot, Hugo ou Montaigne. Montaigne ? Ce n'est pas un poète, rétorquera l'amateur de catégories bien nettes ! Et pourtant, si, quand il s'inscrit dans le flux d'une langue amoureuse et gourmande.

Place des Savanes est par ailleurs truffé de phrases que l'on doit à Jean-Claude Pirotte lui-même, et qui brillent assez violemment pour s'y arrêter, le temps d'en extraire tout le goût : « J'avais appris peu à peu que la fin des temps c'est pour aujourd'hui – au plus tard pour demain. » Et, puisque le narrateur est jeune, bien que riche de ses lectures : « J'aurais nourri ma jeune nostalgie d'une campagne aérée mais mystérieuse en ses confins et ses détours, comme celle de Morven le Gaëlique, et j'aurais pu moi aussi rêver… »

Aux confins du roman – dites : la périphérie, si vous voulez –, la phrase ne suit pas le but précis que pourrait lui donner un architecte scrupuleux. Elle traîne un peu, s'alanguit, puis un dialogue s'installe, aux répliques sèches, sans pour autant faire avancer l'intrigue. Est-ce donc un roman paresseux ? S'il faut se résoudre à le qualifier ainsi, ce sera pour faire, du même coup, l'éloge de cette paresse grâce à laquelle les détails sont mis en relief par des lumières rasantes. Quant à la présence de l'alcool, sans lequel l'univers de Pirotte perdrait une partie de son identité, elle est teintée d'une vague tristesse, comme si la vérité n'était plus au fond de la bouteille – pour autant qu'elle s'y soit trouvée un jour – mais que la gorgée de plus, nécessaire à l'ivresse, révélait une ombre de vérité, projetée sur un mur de mensonges.

On se trouve bien à cette adresse fournie par Jean-Claude Pirotte. On se blottit au fond des pages, on s'en fait un duvet. Et s'il gratte un peu, c'est pour mieux se sentir vivant.

 

Site : Le soir be

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