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22 mars 2013 5 22 /03 /mars /2013 15:30

Au cours de sa carrière, Georges Pelecanos a beaucoup pratiqué — avec talent, il faut bien le reconnaître — les personnages récurrents et les romans se déclinant en série de trois ou quatre épisodes. Il s'était un peu écarté de ce schéma ces derniers temps (depuis Drama City, 2007) pour nous livrer des récits du type "one shot". Il revient aujourd'hui avec le premier volet d'une nouvelle série qui met en scène le personnage de Spero Lucas.

 

Spero Lucas est un ex-marine qui a connu les campagnes d'Irak et qui, de retour à la vie civile, s'est reconverti en enquêteur. Il vit en solitaire, mais garde une attache solide avec les membres de sa famille. On ne sait pas vraiment si Spero est blanc ou noir — il faudra d'ailleurs attendre quasiment les deux tiers du roman pour avoir une certitude — et au fond, Pelecanos nous fait bien comprendre que c'est sans importance. Il est en enfant adopté par un couple d'origine grecque qui reste très lié à sa mère adoptive depuis que son père est décédé, de même qu'à son frère Leo, lui aussi adopté. Ces deux-là sont ses repères, sa famille.

Sur son séjour en Irak, sur la guerre qu'il a mené, Spero, tout comme ses anciens camarades de combat, reste silencieux. Il est des souvenirs qui ne se partagent pas, ou seulement en silence avec ceux-là mêmes qui les ont vécus.

Pelecanos effleure à travers Spero les reconversions difficiles de ces combattants, comment ils sont pour certains en constant décalage, déphasé, incapables de reprendre pied dans la réalité américaine.

Spero a choisi une réinsertion en demie teinte : enquêteur pour un avocat pénaliste le jour, enquêteur à son propre compte pour une commission de 40% la nuit. Spero joue avec ses propres règles, son propre code, ni tout à fait dans la légalité, ni tout à fait en dehors. Un soldat sorti du rang…

 

Comme souvent chez Pelecanos, l'intrigue en elle-même tient en quelques lignes.

Après avoir sauvé du procès un adolescent voleur de voiture en décrédibilisant la déclaration du flic qui l'avait arrêté, Spero est contacté par le père de ce dernier, Anwan Hawkins, notoire dealer actuellement derrière les barreaux. Cet homme-là, qui a confié ses affaires à ces jeunes bras droits et se fait livrer sa "marchandise" par FedEx, s'est fait voler récemment quelques "colis". Moyennant ses incontournables 40%, Spero est chargé de retrouver les paquets disparus, ou au moins l'argent qu'ils représentent.

L'enquête amène vite les soupçons sur les adjoints d'Hawkins, Tavon Lynch et Edwin Davis, mais lorsque les deux sont retrouvés assassinés, Spero comprend qu'il a affaire à du plus solide. Et du plus méchant…

 

Washington est une nouvelle fois au cœur du récit. Les descriptions des pérégrinations de Spero Lucas sont incroyablement précises, au point qu'il est possible de suivre aisément ses itinéraires, voire de retrouver les endroits qu'il fréquente :

 

« (…) il décida d'aller se promener. Il aurait pu prendre à l'est jusqu'à Crestwood, le joli quartier autour de la 16e Rue, où vivait le maire et où le taux de criminalité était faible. Mais en quittant la maison, il se dirigea vers l'ouest, remonta Colorado Avenue vers la 13e, traversa à la nuit tombée le terrain envahi de mauvaises herbes de Fort Stevens Park, puis le parking sombre de l'église méthodiste Emory pour finir par descendre les marches menant à Georgia Avenue. »

 

Pelecanos crée avec Spero Lucas un personnage qui est à la frontière des univers qu'il a pris l'habitude de mettre en scène. C'est un pur produit de Washington, ni noir, ni blanc, ni immigré, et pourtant un peu de tout cela à la fois ; il navigue à la frontière de la légalité tout en respectant une sorte de code d'honneur qui lui est propre. Comme depuis plusieurs roman, le rapport père-fils est également une des clefs du récit, décliné ici sur deux versants : père présent même si pas biologique avec Spero ; père absent quand bien même biologique avec Larry Holley. Et puis il y a cette guerre si marquante et pourtant indicible, cette période de sa vie qui construit Spero tout en le détruisant et lui donne l'étoffe d'un personnage suffisamment ambigu pour être suivi de près.

 

Sans aller jusqu'à penser que Georges Pelecanos renoue (avec) les ficelles qui ont fait son succès, on peut penser que le personnage de Spero Lucas est à même de donner à son auteur quelques belles pages et que cette Balade dans la Nuit de Washington ne sera sans doute pas la dernière.

 

Site : polarnoir

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Spero Lucas, ancien marine reconverti dans l’investigation privée est contacté par Anwan Hawkins, trafiquant de marijuana qui, depuis sa prison, voit sa nouvelle filière d’approvisionnement court-circuitée et ses colis disparaître.

 

 Comme souvent chez Pelecanos, l’intrigue tient en quelques mots. Essentiellement parce qu’elle n’est que prétexte à raconter non pas une histoire, mais une ville, Washington, toujours, et un personnage. C’est ce qui à fait le charme très particulier de cet auteur mais aussi, plus récemment, sa faiblesse avec une grande tendance dans ses derniers romans à se montrer répétitif et à verser dans un sentimentalisme un peu artificiel et lassant.

 

 C’est donc avec une certaine appréhension que l’on abordait ce nouveau roman, en même temps qu’avec l’espoir de retrouver le Pelecanos qui nous avait emballé avec les enquêtes de Nick Stefanos, de Dereck Strange, de Terry Quinn ou la vie de Dimitri Karras.

 

Force est de constater que le pari est en partie tenu avec cette Balade dans la nuit qui nous fait retrouver avec plaisir les rues de Washington et découvrir un nouveau personnage, apparemment amené à revenir, à la fois attachant et complexe.

 

Hanté par la violence de la guerre, entouré d’amis vétérans portant les séquelles physiques et psychologiques des dernières guerres menées par l’Amérique, Spero Lucas se révèle bien moins lisse qu’il n’y paraît, guidé par des principes, certes, mais qui n’hésite pas non plus à s’arranger avec sa conscience lorsqu’il tend à aller à leur encontre. Un personnage qui fait aussi des choix qui ne sont pas forcément les bons et se trouve forcé de les assumer. Bref, un de ces héros dont Pelecanos a le secret et dont on se demande, roman après roman, si sa chute est inéluctable où s’il arrivera à s’agripper à quelque branche en cours de route.

 

Certes, l’indéfectible pessimiste lecteur de romans noirs pourra regretter encore une certaine tendance chez l’auteur à chercher à émouvoir le lecteur avec des ficelles un peu grosses et une propension à vouloir à tout prix protéger ses personnages là où, il y a quelques romans de cela, il nous surprenait en les malmenant sans vergogne ou, même, en les envoyant à la mort. Mais on oubliera pas qu’il inaugure là une nouvelle série et qu’il y a fort à parier que les choix que commence à faire Spero Lucas dans Une balade dans la nuit auront des répercussions dans les prochains volumes qui lui seront consacrés.

 

C’est donc avec plaisir que l’on retrouve un Pelecanos en forme, qui semble retrouver peu à peu sa créativité et surtout sa capacité à jouer sur la complexité des personnages plutôt que sur le sentimentalisme facile et un peu grossier. Le plaisir aussi de cette façon qu’a l’auteur, en quelques mots ou en quelques dialogues bien sentis, de nous faire découvrir sa ville et de donner de l’épaisseur à son roman. On espère plus maintenant que de le voir confirmer tout cela, en encore mieux, dans son prochain livre.

 

Site : Encore du noir

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