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29 octobre 2009 4 29 /10 /octobre /2009 15:07
Ondo Mba Alex, dit Chicano, vient d'être libéré de la prison de Libreville à l'occasion de la grâce présidentielle. Il a déjà passé quatre années derrière les barreaux et il lui en restait trois à tirer pour un braquage qui avait mal tourné et s'était soldé par la mort d'un Libanais — des gens importants, les Arabes, à Libreville.
Chicano pense que sa libération est plus due à une erreur de paperasse qu'à sa bonne conduite, mais il goûte cependant avec délice aux joies de la liberté retrouvée en s'éloignant au plus vite des murs qui l'ont trop longtemps retenu.
Chicano n'a plus qu'une idée en tête. Ou deux : devenir honnête, et retrouver Mira, sa petite amie. Mais… Mira est enceinte d'un autre homme, et Chicano croise bien vite ses anciens complices qui lui propose de participer à leur prochain casse : la paye de la caserne voisine…

Le Gabon est un pays riche dans la misère ; on nous l'a bien répété à l'occasion de la mort récente de son Président. Janis Otsiemi, à travers le parcours de Chicano, vient compléter cette affirmation par l'exemple.
Chicano, qui voudrait profiter de la bonne étoile qui l'a fait libérer pour se faire honnête, voit ses plans contrecarrés lorsqu'il retrouve la réalité à l'extérieur des murs de la prisons. Pour continuer à vivre, il va lui falloir replonger dans la débrouillardise en compagnie de ses anciens amis, faire comme tout le monde.
Janis Otsiemi nous fait découvrir Libreville, une ville violente où la corruption est partout ; dans l'armée, dans l'administration, dans la police :
« Les militaires avaient décidé de laver leur linge sale en famille. Il ne fallait pas compter sur eux pour glaner des informations. Alors depuis ce matin, Koumba avait commencé son enquête personnelle. Du flic au chasseur de prime, il avait passé le Rubicon depuis belle lurette. Dans un pays gangrené par la corruption, on ne peut pas prêcher l'honnêteté quand d'autres abusent impunément du pourvoir et de leurs privilèges. »
ou plus loin :
« Libreville… Six cent cinquante mille âmes… Libreville… Gros faubourg gonflant de jour en jour de son flot d'immigrés obnubilés par l'argent facile, chassés de leurs bourgades natales par la misère… Libreville… disputant à Johannesburg, Yaoundé, Lagos, la palme de la ville al plus violente, avec ses braquages à main armée, ses viols, ses vols, ses crimes rituels, ses crimes passionnel… »

Pour autant, l'atmosphère générale du roman n'est pas totalement sombre. Derrière les turpitudes imposées à Chicano, on sent poindre une extrême vitalité qu'on retrouve dans le style de Janis Otsiemi, vif, enlevé. La vie est un sale boulot, mais c'est la vie.
Et puis il y a ces expressions, ces dictons, qui parsèment le texte ; un régal :
« Qui avale une noix de coco fait confiance à son anus. »
« Qui traque un nid de guêpes doit savoir courir.»
ou encore
« La langue qui fourche fait plus de mal que le pied qui trébuche.»

Pas de fioritures. Janis Otsiemi va à l'essentiel dans un roman court (cent trente pages) qui donne à voir une certaine réalité gabonaise à travers un personnage touchant, attachant. La Vie est un Sale Boulot est un roman noir, mais c'est aussi un roman Noir. Indiscutablement différent.

SITE : Polarnoir

"Tu sais, Chicano, dans ce bled il ne faut compter sur personne."

Aujourd'hui, onze recours ont été déposés auprès du Conseil Constitutionnel gabonais, en vue d'invalider la victoire d'Ali Bongo - fils du défunt président Omar Bongo - aux dernières élections présidentielles du 30 août. Scrutin litigieux. Soutien discret du gouvernement français au pouvoir en place. Manifestations. Une quinzaine de tués selon un député de l'opposition. Litanie.

Qui sait, le nouveau chef de l'Etat va peut-être accorder une grâce présidentielle à un certains nombre de prisonniers.
Comme celle dont profite Chicano, par procuration : portant quasiment le même nom qu'un co-détenu, il est libéré à sa place ! 
Quatre ans plus tôt, le braquage d'un commerçant libanais avait mal tourné : un mort, deux complices qui se font la malle et lui sur le carreau à payer pour les autres. Alors Chicano ne se fait pas prier et saisit sa chance pour repartir de zéro et mener une vie honnête, à Libreville.

Mais dans un "pays gangréné par la corruption", on ne peut vraiment compter sur rien ni sur personne, et le pauvre Chicano, pourtant pas plus méchant qu'un autre, va l'apprendre à ses dépens. En se faisant d'abord rabrouer par la femme qui ne l'a pas attendu, puis en se laissant entraîner par ses anciens "copains" dans un nouveau casse qui devrait leur rapporter un max : braquer un camp militaire et empocher l'argent sensé payer la garnison.
Ca fait bientôt vingt briques dans la nature, et beaucoup de monde à le renifler, à commencer par les deux flics chargés de l'affaire...


Otsiemi connaît ses classiques et son triptyque braquage-partage-bidonnage est bien servi, avec ce Chicano dans le rôle du mouton qu'on envoie à l'abattoir.
Le style est nerveux et bourgeonne d'expressions locales bien senties. Otsiemi ne se prive pas non plus d'épingler au passage le "népotisme de l'armée gabonaise", "la brutalité de chiens mal nourris" des flics et l'injustice du système, quand on arrête les "petits délinquants pendant que les ouattara vident les caisses de l’État sans être inquiétés."

Malgré cela, je suis un peu resté sur ma faim. J'aurais aimé que l'auteur allonge un peu ses 130 pages, densifie son intrigue et creuse son sujet, d'autant plus qu'il y avait matière à jeter du pavé dans la mare plutôt que quelques ronds dans l'eau (même croupie). Ou alors au contraire, qu'il prenne le parti de réduire son texte, pour en faire une véritable nouvelle, encore plus concise et percutante.

Cela dit, je ne voudrais pas paraître trop sévère, car hormis ces quelques réserves, un sale boulot m'a fait passer un bon moment.

SITE : Moisson noire
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